Envoyée en famille en Haute Savoie Mme Wilkovsky née en 1932 à Athis Mons
Je suis née en banlieue, de parents banlieusards, en 1932 à Athis-Mons dans le 91, la Seine et l’Oise. J’ai toujours vécu là. J’ai donc perçu la guerre en tant que banlieusarde et en tant qu’enfant : l’exode, les bombardements et la Libération bien sûr.
Mon père était à l’époque ouvrier, puis il a ensuite continué à grimper dans la hiérarchie. Ma mère était sans profession.
Je me souviens parfaitement des premières vacances en 1936 même si je n’avais que quatre ans. Moi, petite fille, je ne comprenais pas ce que signifiaient les premières vacances pour mes parents. Nous sommes allés à Perros-Guirec.
L’exode : juin 40
Je n’ai pas senti le conflit arriver car j’étais trop jeune mais je m’en souviens très fortement à partir du moment où nous avons été occupés par les Allemands. C’est là que l’image est devenue réelle… l’image de quelque chose de grave qui arrivait. Mais nous avions déjà fait l’exode avant même l’occupation. C’était en juin 40…
Je n’avais pas huit ans. Il faisait beau, un temps merveilleux… Nous sommes partis avec mon frère de neuf mois dans le landau, ma grand-mère déjà très malade, le chien de ma grand-mère, ma mère. Mon père qui était soldat, nous a quand même accompagnés au risque d’être pris pour un franc-tireur. Nous sommes allés de Draveil où j’habitais à Nemours, soit cinquante-cinq kilomètres à pied, mitraillés sur les routes. Mais moi, enfant, je l’ai vécu comme des vacances ! Je trouvais ça formidable ! On allait se cacher dans les buissons, ça mitraillait. Il y avait des avions, des chevaux morts au bord de la route, des valises ouvertes que les gens laissaient… et les pillages.
Nous-mêmes pillions car nous n’avions rien à manger sur la route. Mon frère avait neuf mois. Il fallait bien le nourrir. Il me fallait du lait. Je me souviens très bien qu’on cassait les vitrines et que l’on entrait dans les maisons. On ne faisait pas d’autres dégâts, mais on prenait les salades qui poussaient. Il fallait que l’on se nourrisse. Ma mère et ma grand-mère pleuraient, mais j’en conserve un souvenir de vacances. Sur la route, lors des mitraillages, on se précipitait sur le bas-côté pour se cacher dans les buissons, mais c’est plutôt un jeu pour une enfant qui n’a pas huit ans. Même les mitraillages étaient un jeu. Il fallait voir comment c’était ! Toute cette foule sur la route ! Les voitures en panne sur le bord de la route, etc
J’étais fatiguée le soir car il nous fallait beaucoup marcher. …A un moment, quelqu’un en uniforme est passé mais il ne parlait pas français. Personne ne savait qui c’était. Il y avait sur la route des francs-tireurs comme mon père, des soldats qui avaient profité de la confusion pour accompagner leur famille. L’un d’eux a abattu cet autre soldat étranger sans savoir qui il était. Cela m’a marquée, m’a impressionné. Ils l’ont fusillé sur place en pensant que c’était un espion.
Nous sommes partis trois semaines, mais finalement les Allemands nous ont rapatriés en camion parce qu’évidemment ils nous avaient rattrapés. J’adorais le chocolat mais ma mère m’avait interdit de toucher à ce que me donnaient les Allemands en me disant : « C’est empoisonné ! ». Nous avons retrouvé nos maisons intactes.
Certains magasins acceptaient les fausses cartes. Dans la famille, on se dispersait pour aller faire la queue, pour avoir un peu à manger.
L’école
Pendant la guerre, je n’habitais plus à Athis-Mons mais à Draveil, toujours près de Juvisy. Les Allemands y ont occupé les châteaux – il y en avait quatre ou cinq – mais pas les écoles. Ils ont par contre occupé l’École normale à Paris où je suis allée après. A Draveil l’école continuait à marcher normalement exception faite qu’on nous faisait chanter « Maréchal nous voilà » tous les matins.
Il n’y avait qu’une petite fille juive dans la classe. Mon père m’avait dit : « Surtout ne joue pas avec. On ne sait jamais ». Plus tard après la guerre, nous avons découvert dans des livres que ce professeur qui nous faisait chanter « Maréchal nous voilà » était en fait une résistante de très haut niveau et qu’elle cachait des Anglais et des parachutistes…
Quand on vit ces évènements enfant, on ne peut pas comparer et l’on prend les choses comme elles viennent, au fur et à mesure. On pense que c’est naturel, parce que l’on n’a jamais connu autre chose mais je ressentais la crainte de mes parents. Je me cachais dès que j’entendais un Allemand, un bruit de bottes. Et c’est resté… Si j’entends un bruit de pas type bruit de bottes, une terreur se réveille en moi. J’avais peur parce que mes parents m’avaient fait peur : « Surtout ne parle jamais aux Allemands. Ne va jamais vers eux. » Ils avaient déjà connu une période difficile.
Mes parents n’étaient pas tellement au courant de la façon dont les juifs étaient traités par Hitler. La plupart des gens se bouchaient les oreilles et se masquaient les yeux sauf dans les communautés qui avaient déjà été touchées mais dans les communautés comme la mienne, ils ne voulaient pas savoir. Une campagne anti-juive faisait croire que porter l’étoile était infamant. Il n’y aurait pas eu cette campagne générale, le contexte n’aurait pas été le même… C’était la propagande !
Lors des rafles, les gens ne savaient pas où on les emmenait. Ils n’en savaient rien.
Je n’ai pas vu de camarades de ma classe partir exceptée cette petite fille juive dont j’ai parlé et qui a dû aussi disparaître de l’école à un moment de vacances. Je n’habitais pas dans un endroit où il y avait beaucoup de juifs, donc le problème ne se posait pas. Je n’ai découvert tout ça que quand j’ai connu mon mari.
Les bombardements
J’habitais à cinq cents mètres de la gare de Juvisy et nous avons été bombardés dix-huit fois. Les bombardements m’ont marquée parce que c’était la terreur vraie. On est là et on descend à la cave. Pendant l’exode, j’étais plus jeune, mais là… on est totalement impuissant. On écoute les bombes. On a d’abord vu les fusées éclairantes sur l’endroit bombardé et les bombes qui descendent. On savait qu’en entendant le sifflement de la bombe, elle n’était pas pour nous. On écoutait donc à chaque bombe. On est impuissant sous un bombardement. C’est l’horreur, la terreur pure car on ne peut rien faire !
Habitants dans un pavillon, nous avions une cave. Papa l’avait équipée avec une pioche, de l’eau, de la nourriture – enfin ce que l’on pouvait avoir à l’époque – au cas où on serait enseveli. Ce sont des choses qui marquent les enfants et qui restent.
A Juvisy, il y eut pour la première fois des bombes à retardement. Un matin, comme après tous les bombardements, nous sommes ressortis pour aller aider ceux qu’il fallait aider, et là, ça s’est remis à péter. Les bombes à retardement ont explosé une heure après et il y eut énormément de dégâts.
Nos parents nous envoient donc en Haute-Savoie où j’avais de la famille. Mon parrain n’était pas dans la résistance mais il l’aidait. J’ai vécu la Libération là, sous une autre forme, avec le reflux du maquis…. des Allemands… du maquis… des Allemands…
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SOUVENIRS……d’après-guerre - (Geneviève Cotty)
Après ces années difficiles, les « années 1950 » semblent se présenter sous de meilleurs auspices. Je ne crois pas exagérer en disant que cette période était attendue avec un peu d’impatience !
Les restrictions de tous ordres étaient moins draconiennes (heureusement) et s’il y avait encore quelques cartes de rationnement, ce n’était plus pour longtemps. Si mes souvenirs sont exacts tout est redevenu normal dès le début de 1950. Ouf….
Les progrès sont arrivés à grands pas. Et quels progrès ! Le rêve de toutes les ménagères, puisque ce qu’on a englobé dans le terme « électroménager » les concernait directement, je veux parler tout d’abord des aspirateurs, moulins à café, fers électriques (un peu plus tard à vapeur ), et autres mixers…Et le plus gros matériel: machines à laver le linge, et réfrigérateurs ! Les journaux étaient remplis de réclames comme on disait alors, vantant les mérites de ces appareils destinés à transformer le travail domestique de la femme en un véritable bonheur et même en plaisir pur !!! Imaginez la pauvre mère de famille d’avant-guerre et même un peu plus tard, les jours de lessive (en principe le lundi de tradition). Comme disent les nouvelles générations « c’était pas la joie » ! On était positivement sur les genoux . Moi, j’ai connu ça pendant dix ans…avec trois enfants…et en appartement ! Je n’étais pas une exception. La lessiveuse à monter sur le fourneau à gaz, le linge à laver, à rincer plusieurs fois, à tordre et à étendre pour essayer de le faire sécher…(sans compter que l’eau vous dégoulinait dessus). Alors bien sûr, la première machine à laver, on l’admirait, on la bichonnait. On en avait rêvé. Elle n’était pas entièrement automatique, loin de là, mais telle qu’elle était elle rendait déjà de grands services et vous enlevait bien de la fatigue. C’était très appréciable.
Mon premier appareil électroménager fut un aspirateur, vendu par un représentant venu me faire une démonstration dans l’appartement…Ah !ces voix des sirènes, on ne peut pas y résister, surtout quand le fabricant vous propose des conditions de paiement qu’on juge extraordinaires..Et nous n’avons pas résisté, moi parce que j’avais très envie de cet engin, mon mari parce qu’il voulait me faire plaisir ! Alors on me l’a livré et…toutes mes voisines sont venues contempler l’objet de mon bonheur et assister à des démonstrations ! C’est un peu enfantin, mais nous n’étions pas blasés à cette époque.
Ensuite le réfrigérateur…très utile et apprécié comme tel. Réfrigérateurs à compression et aussi à absorption…qui se souvient du petit « SIBIR » posé sur un meuble, d’une capacité de 50 litres…Celui-là était à la portée de bien du monde, pas trop cher (encore que…) mais pas très résistant aux grandes chaleurs !
Et que dire de la Télévision ? Bien que ça ne soit pas l’achat prioritaire (et pour cause) nos enfants surtout l’attendaient avec impatience ! Heureusement que les grands-parents s’en sont mêlés en 1960 ! Merci encore à vous !
Et puis on avait vu aussi revenir des voitures absentes pendant plusieurs années. Les 2 CV…les 4 CV Renault …puis la Dauphine etc…etc…Que de souvenirs !
Et voilà, les temps ont changé. On ne saurait plus vivre maintenant sans ces progrès qui nous ont apporté outre du bien-être, du plaisir, du confort…quelquefois des soucis financiers ! Il faut ce qu’il faut ! Tout se paie en ce bas monde et il est bon que chacun puisse profiter des techniques nouvelles destinées à nous rendre la vie supportable et même agréable, pourquoi pas ?
Geneviève Montpellier, le 22 avril 2008
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